Justand Mots

Ecriture. Arts. Matière. Épaisseur. Hauteur. Sens. Saveur. Son. Musique. Rythme. Contraste. Images. Magie. Création. Forme. Echo. Vie. Âme. Imaginaire. Mots. Invisible. Artisan. Lettres. Lien. Amour. Infini.

CANEVAS

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Écriture

 

Un canevas sans dessin, tout blanc, sans rien, ouvert à tous les univers, attend patiemment, pas impatient, déguste le temps qui sera bientôt matérialisé de points cousus....
Un point cousu, deux points cousus font un pas franchi par mon aiguille à bout rond, enfilée d’une couleur bleue pour l’instant, du vert puis du rouge un peu plus loin.
Cette idée qui n’était rien, commencée par un point, un petit pas, un petit temps, se transformera en matière, en texture, en couleur, en mouvement, elle sera mise à plat, à plat de couture et en image tapissée.
Le sens des fils est harmonieux, leurs nœuds sont bien cachés au dos de l’image.

 

Texte : Céline Justand

(2015)

 ©Céline JUSTAND 

-Justand Mots-

commentaires

MEMOIRE SENSORIELLE

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Lieu

 

C’est une lumière de laboratoire, blanche, froide, autoritaire, efficace grâce aux néons, qui s’efforce de bien tout montrer, surtout le vide puis sa puissance. Elle éblouit suffisamment pour qu’il s’habitue au changement d’espace, la vision doit s’adapter à cette grande pièce avec une allée centrale et ces petits box cloisonnés à gauche et à droite. Ses yeux sont dans un inconfort agressif et luttent pour s’adapter à cette saturation de lumière, ce blanc froid qui dégouline sur les murs gris clairs laqués qui, eux-mêmes, se jettent sur le sol gris foncé brillant. Tout se reflète, tout ce froid rigide se répond partout, ce propre repoussant accueille le dégoût, et il faut avancer. Le Monsieur en blouse blanche lui a dit « -3ème box, à droite ! », dans toutes ces couleurs froides qui tirent les pensées vers le pire, au milieu de tous ces box vides, chaque pas tremble comme la corde qui cherche son accord dans l’atmosphère morbide qui joue de l’écho. Ça sent le frigo. Ou mieux encore, l’odeur de la chambre froide d’un boucher dans laquelle des carcasses sont pendues, bien dociles, bien rangées, bien rigides, toutes pleines de bonne chair et de fraîche mort, cet air envahissant de froid désinfecté qui dissimule la pourriture naissante. Son corps tout entier s’est rafraîchi comme solidaire du cadavre de son frère, confortable, lui, dans cette absence de tout qui lui est devenue familière : le box numéro 3 est là. Le corps est installé sur une table en métal, à roulette, recouvert d’un drap blanc assorti à cette lumière qui donne envie de hurler, le visage est tout gris assorti au mur qui donne envie de s’enfuir, alors qu’il s’en approche de plus près, un frisson parcourt son dos puis ses bras, comme une charge électrique qui donne envie de survivre. Dans son corps, à lui, il y a de la réaction, du langage, du mouvement, même si la chaleur descend, il sent une lutte qui lui rappelle sa vibration d’être encore vivant. Ce lieu serait-il plus fort qu’un lien de sang ? Rendrait-il immobiles et découpés tous ceux qui y entrent ? Il circule autour du défunt, de la table, et fixe ce visage qui est celui de la mort brutale ; un œil est presque ouvert alors que l’autre est bien fermé, c’est un visage qui n’avait pas terminé sa phrase. Il lui touche le front, semblable à un glaçon recouvert d’un fin tissus juste humide, fait un effort pour garder les doigts sur cette peau qui n’a plus rien à dire. Une information familière, un repère, un contact à quoi s’accrocher mais plus rien n’existe à cet instant, le « trop tard » est déjà loin. Cette peau n’est plus habitée, et la toucher c’est visiter une maison hantée, immense, dévorante, sombre, et dont on veut s’échapper au plus vite. Il enlève sa main. Il se crispe de froid, déglutir est difficile, comme si cette décomposition était contagieuse, se dispersait dans toute la pièce, à travers le sol, les murs, la lumière, la température, le silence, l’air, pour entrer à l’intérieur du visiteur de la morgue, pour que plus jamais aucunes sensations ne dépassent celle-ci, pour que la mort soit enregistrée comme familière, pour toujours, dans tous les sens, et que le chagrin ne soit rien à côté de la trace que laissera cette lumière saturée qui continue à éblouir de force même une fois sortie.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2016)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-
 

commentaires

L'HOMME SIECLE

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Portrait

 

Il est comme un homme siècle, dans une mécanique des mots, du savoir, une com’ de base, une classe étudiée, beau, gosse, tout le monde voit. Photos. Il comprend vite, analyse vite, agit vite.
Au milieu de cette masse humaine.
Chasse, vite, court, vite, après tout, vite. Tout se voit. Personne ne se voit.
Vite. Son temps, son gibier, sa monnaie, sa cravate. Non, plus de cravate. Photos. Pas de sentiment. Ses clients, ses rendez-vous, ses mains serrées et une suite de contrats signés. Le spectacle des enfants, vidéo, le déjeuner chez les parents, photos, portable, mails, textos, messages, images. Trop d'images qui rendent sourd. Et la cambrure de sa femme superposée à celle de la pub télé, personne ne voit. Photos. Tout le monde voit. Des commentaires. Encore, t'es beau, t'es belle, t'es beau, t'es pas beau. C'est beau, c'est laid, c'est trop, t'es pas beau, t'es pas belle, t'es, t'es pas, tais-toi, et toi, mais moi, et lui, il m'a dit, elle m'a dit. Vite. Encore. Non. Photos. Pas de commentaire. Rien ne se dit. Vite. Vidéo. Personne ne se parle. Plus de podium. Et des ultimatums, des compteurs qui tournent vite. Ça motive, ça motive. Vite. Un homme à terre ici. Rien ne se pense. Rien ne se dit. Tout se dit. Vite. Photos. Commentaires. Rien de plus. Un homme lucide. En action.
Il est sportif, parfois. Il aimerait être sportif parfois. Personne ne se voit. Photos. Tout se dit. Vite, un pote, des potes, un pot, se vider l’esprit, des pintes. Rire dans ce tout qui abrite, blague bête et méchante, encore une, plus bête, encore, drôle, rire bête et pas drôle. Photos. Pintes. Moments indispensables de potes. Photos. Pas présentables mais tant pis. Pas si drôle sans photos. Personne ne voit. Rire encore.
Rien ne s'entend. Rire fort qui s'entend. Tout s'oublie. Vite, le petit dernier, fragile mais pas trop. Nous sommes des hommes, alors pas de larmes, des claques, faut que ça claque. Le père doit montrer l’exemple. Fort. Vite. Action. Lui parler par l’action, montrer sans un mot, jouer et gagner, vite, tout lui dire sans un mot pour qu’il agisse vite. Loyal. Puissant. Pas de commentaire. Un mot parfois. Pas trop. Vite, fier. Photos. Une émotion qui vibre pour son petit garçon, gagnant. Il dira : pas mal. Pas de phrase, pas le temps. Photos. Rien ne se voit. Émotion. Personne ne se parle.
Et puis tant pis, personne ne voit. Vite. Sourire. Puis impassible.
Un homme de ce siècle, une place, cherchant son devoir, défendant son droit, prêt pour le combat, en fond vulnérable face à sa bulle femme/enfant. Habitude. Lassitude. Rien ne se dit. Tout se voit. Vite. Trop vite. Allez, prêt, feu, repartez. Divorce violent, coup dur face au temps. Vite pour qui. Au sol. Impasse. Tant pis tout le monde voit. Photos supprimées. Et il continue avec un vite au tapis. Moins de vite. Plus de fond. Plus de vrai. Action et visage mature, creusé. Gestes mesurés. Une nouvelle femme. Photos, pas celle-ci, photos,encore, celle-là, photos, pas réelle,encore, photos, valeur, sans valeur, choisir, choisir, choisir. Illusion de pouvoir. Rien ne se pense. Tout voir. Tout commenter. Tout montrer. Toujours pas de phrase. Pas de sujet. Pas de complément. Action. Tout se dire. Vite. Plus de place. Supprimer.
Plus de mariage s'il vous plaît. Plus de vite. Stop. Personne. Il regarde enfin. Moins vite.
Une femme qui l'aimerait. Une. Pas confiance. Peur. Reprendre confiance.
Ce sera une amie jusqu'à ce qu'elle soit dans sa vie. Il choisit. Avec elle ce sera oui. Repartir. Vite. Action.
La vie. Une vie d’homme ça se vit.
Un homme siècle c'est toute une vie.
Vite.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2014)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-

commentaires

HOMMES

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Portrait

 

Homme poète, torture le rythme,
Enlève la virgule, lèche la rime,
Arrête le souffle et soupire,...
Suspend le jeu pour attiser le fond,
Forme et son s’admirent…Attirant.

Homme fidèle, en toute rancune,
Brûle d'un feu pur,
Ardent sans futur,
Doux, puissant, sans armure,
Tailladé de coups et failles
Plein de charme…Troublant.

Homme du sud,
Soleil brutal,
Vif. Non, animal !
Plus sensuel, peau miel.
Un brin adolescent. Humain.
Examen de conscience,
Blessure d’enterrement…Spirituel.

Homme lucide de cette folie humaine,
Spectateur de la nature inhumaine,
S’attache à l’immatériel,
L’invisible profond selle le cœur,
Repère les prédateurs en un seul coup d’œil,
Pas de pitié…Guerrier.

Homme sévère sans excuse,
Temps juste adoré, démesuré,
Vie de passionné,
Amoureux accroché aux seins de sa bien-aimée,
Sa femme idolâtrée,
Sa reine perlée couronnée,
Cette dame surestimée,
Son secret bien gardé…À ses pieds.

Homme mégalo dans son univers,
Attise deux pôles sombres
Mi-monotone, mi-lunaire,
Parcourt le monde sur un fil,
N'économise ni l'envie, ni le vide,
Traverse les bras qui défilent,
En courant une minute par an,
Etire le goût de la vie…Rêveur.

Homme conscient du courant,
Refuse la masse, la fonte,
Allège les poids, les cordes,
Pas d’eau courante,
Pas d’adresse fixe,
Pas sdf mais libre, vibre, trace,
Dialogue dans toutes les langues,
Sans mascarade sociale…Voyageur.

Homme privilégié,
Fortuné, diplômé, en sécurité,
Un peu sonné, cherche le bonheur,
Pas une seule clé, si triste,
Frappera à ta porte, sans bruit,
En suivant le chemin du Père Noël,
Chargé de mots en forme de cadeaux…Généreux.

Homme solide,
Reste sans sourire, sans miroir,
Toujours étonné de recevoir
Une vie de soleil inattendu,
Silhouette pour cet hypnotisé,
Etre à la hauteur de son auteur,
Ce présent très haut perché,
Chauffe l’espoir mort de peur…Guéri.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2013)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-

commentaires
<< < 1 2