Justand Mots

Ecriture. Arts. Matière. Épaisseur. Hauteur. Sens. Saveur. Son. Musique. Rythme. Contraste. Images. Magie. Création. Forme. Echo. Vie. Âme. Imaginaire. Mots. Invisible. Artisan. Lettres. Lien. Amour. Infini.

AU BORD DU LARGE

Publié le 17 Novembre 2017 par Céline Justand dans Lieu

 

 

Au dernier étage. Son atelier. Une ancienne chambre de bonne accessible par un couloir au quatrième palier. Dix mètres carrés environ. Deux grandes tables de travail. Une armoire de rangement. Une vieille radio poussiéreuse. Un poêle à pétrole. Elle la suivait, les mercredi après-midi, dans cette toute petite pièce, apportant ses livres, ses cahiers à dessin, sa trousse à trésors et ses bouts d’outils pour façonner des sculptures d’argile amusantes pour les yeux. Goût de la fabrication. Ou pour faire comme les grands.

La porte à côté, en montant trois marches, donnait sur une partie du toit. De la fenêtre de l’atelier, elle y accédait facilement. Elle demandait alors

- Puis-je aller dehors ?

Comme si elle allait courir dans un grand jardin, avec un chemin pour faire du vélo. Imaginaire. Elle pédalerait à toute vitesse, pressée d’attraper chaque minute, le poserait au sol et grimperait à l’arbre devenu le mat d’un bateau à voile. Pour voir. Plus haut. 

- Fais attention !

Comme si, partie au large, elles allaient être éloignées d’une grande distance. Imaginaire. Elle descendrait du mat, accèderait à une île perdue, se cacherait près des buissons chevelus, et trouverait des étrangetés à observer, les fixant longuement. Comment faisaient ces minuscules bestioles, avançant l’une derrière l’autre, pour porter des brindilles quatre fois plus grosses qu’elles ?

Elle avait son accord. Elle passait alors le bord de la fenêtre en acquiesçant. Elle était sur le toit. À l’intérieur, la radio passait une musique syncopée. Piano. Saxo. Contrebasse. Harmonica. Elle était tout près d’elle. Elle partait pourtant bien loin. Elevée à un mètre de la pièce, à côté de l’ouverture de la fenêtre, assise sur le toit, les pieds collés à la pente légère sécurisée d’un muret en pierre, les jambes repliées sur le torse, le corps en lutte pour se maintenir droit adossé au crépi, elle ne bougeait pas. Elle voyait loin.

Au large.

Elle n’avait jamais vu aussi loin, à part de cet endroit. Elle sentait bien que personne ne restait là bien longtemps. Comme si c’était interdit. Sans besoin de pancarte. Ce lieu qui n’en était pas un, cet espace fait pour ne pas y être, donnait envie d’y rester. Elle était au-dessus de l’arbre. Quelle victoire. Ce grand platane qui prenait toute la place dans l’arrière-cour, elle voyait au-dessus de sa tête. Elle dominait un instant ce qu’il dominait tout le temps.

L’instant présent.

Les toits de la ville sont placés comme une maquette. Création manuelle. Elle construit la sienne. Imaginaire. Un morceau de carton plié. Coller. Replier. Coller. Voilà une vague. Un second morceau replié. Coller. Replier. Un triangle coupé. Replier. D’autres vagues. Plier. Coller. Ici. Là.  A l’intérieur, dans une synchronisation parfaite, un son de guitare sèche. La colle sèche. Son du triangle. Equerre pour l’angle. Grains de muguet pour des cloches silencieuses et invisibles. Touches de peinture pour les reliefs. Le temps était haut dans le ciel. Elle imaginait sa composition achevée plus personnelle encore, même si rien n’était commencé. Tout cela eût été amusant à faire. Morceau de crépon pour l’île. Fond violine nuancé d’un ciel de pensées, de bleuets. Il eût été indispensable d’accueillir les oiseaux dans cette immensité. Agilité. Pattes avec accroche de sureté. Au bord du vide en gigotant. S’attendre. S’appeler. S’envoler. Sans limite. Elle les regardait avec admiration tant leurs toits avaient l’air plus drôles encore que les siens. Comment pouvaient-ils faire pour jouer autant sans tomber ? Elle ne saurait jamais le faire.

– Allez ! Reviens ! Ça suffit !

Elle avait raison. C’était la limite. Ses pieds n’étaient pas faits pour rester figés en pente trop longtemps. Elle repassait le bord de la fenêtre, s’asseyait à nouveau à sa table, si plate, pieds stables, bien au sol, avec un échantillon d’infini, d’illimité, de liberté invisible en souvenir de cette place unique au large.

 

Texte : Céline JUSTAND

Photo : ©Céline JUSTAND

(2017)

 

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DOSE DE CHOSES

Publié le 5 Novembre 2017 par Céline Justand dans Tempo, Pages

Chose qui fait avancer

Chose musicale

Chose qui plombe

Chose qui parle pour ne rien dire

Chose qui prend trop de place

Chose qui commente tout et rien

Chose qui se tait

Chose qui se ferme

Chose qui quoi quand comment où pourquoi

Chose qui fait semblant d’être humain

Chose qui se cache derrière l’inhumain

Chose qui est une chose

Chose qui se prend pour autre chose

Chose qui refuse de rester chose

Chose mise en veille

Chose mi-monstre mi-merveille

Chose qui n'a pas la bonne couleur

Chose qui n'a pas le bon poids

Chose qui n'a pas le bon âge

Chose trop jeune

Chose trop vieille

Chose trop laide

Chose pas assez laide

Chose pas assez grosse

Chose pas assez maigre

Chose dont la taille ne compte pas

Chose qui choque

Chose excisée

Chose qui s’entrechoque

Chose qui ne s’annonce jamais

Chose qui est toujours annoncée

Chose planquée dans un coin du monde

Chose mesurée

Chose qui ne se mesure pas

Chose qui se mesure trop

Chose qui refuse de se soumettre à la mesure

Chose infinie

Chose bien finie

Chose à peine finie

Chose désintéressée

Chose délaissée

Chose enlacée

Chose qui surveille trop

Chose qui surveille beaucoup trop

Chose qui surveille qui surveille qui surveille qui

Chose autre toute autre

Chose qui est, qui doit, qui fait

Chose enclavée

Chose esclave

Chose en cage

Chose pas dans la case

Chose qui pourrait faire un effort

Chose en fond de champs

Chose hors champs

Chose à contretemps

Chose universelle

Chose universelle et utopique

Chose universelle, utopique et spatiale

Chose universelle, utopique, spatiale et infinie.

 

Texte : Céline Justand

(2015)

©Céline JUSTAND

 

-Justand Mots-

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