Justand Mots

Ecriture. Arts. Matière. Épaisseur. Hauteur. Sens. Saveur. Son. Musique. Rythme. Contraste. Images. Magie. Création. Forme. Echo. Vie. Âme. Imaginaire. Mots. Invisible. Artisan. Lettres. Lien. Amour. Infini.

portrait

PELOTE DE LAINE

Publié le 11 Mai 2017 par Céline Justand dans Portrait

 

Pelote de laine à ses pieds, aiguilles à tricoter posées.
L’ouvrage est là, autour d’elle....

Chaque lien est solidement enlacé pour résister au gel, aux tempêtes bouleversant sa vie par instant. Un ouvrage qui lui tient chaud, comme une bulle toute faite pour elle, toute faite pour nous. Elle est épouse, mère, grand-mère, arrière-grand-mère, sœur, tante, grande tante, cousine, amie. Elle est tout à la fois. Elle est tout ce qu’une dame peut être. Elle est patronne à son poste.
L’ouvrage est là, autour d’elle.

Rapide et maîtrisé, le geste est précis, décidé, autoritaire. Main de fer pour aiguille en douceur, main de velours pour aiguille piquante, sa chaleur gagne en matière. Ne se laisse pas faire. Ne vous laisse pas faire. Sait tout bien faire. Sait bien faire taire. Sait bien se taire. Sait voir autour d’elle, dans tous vos recoins, vos cachettes.
L’ouvrage est là, autour d’elle.

Femme de tête, tout en intellect, conversation haut perchée sur la société, la politique, la philosophie, ou le dernier roman qui a traversé son avis. Femme d’un autre siècle, les années vingt, la jeunesse languedocienne, puis la guerre, l’occupation, la libération, le vote des femmes, la vie de mère au foyer et celle de femme autonome qui mit son mari une deuxième fois à ses pieds. Voici une femme digne, qui serre les dents, fronce les sourcils et continue sa tâche.
L’ouvrage est là, autour d’elle.

Suivant les lois de Dieu, croyante et pratiquante, elle cultive sa foi, son regard vers nos ancêtres lumineux. Les bras ouverts pour bercer le dernier né, la layette était déjà prête, son regard baissé guette le lien se tissant en un inconditionnel câlin. Les tout petits improvisent de nouveaux souvenirs, chacun est le fil doré, précieux trésor qui l’enveloppe. Elle respire dans leurs rires, à chaque époque. Son mari l’appelle, la cherche du regard, ne reste pas longtemps sans contact. Elle est là, tenant sa main fragile. Fabriquant l’ouvrage de leur vie, elle a laissé en nous une pelote de laine pour les liens déliés, les liens éloignés, les liens à créer, les liens à serrer.
Et pour se souvenir d’elle, regardez l’ouvrage autour d’elle.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2016)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-

 

 

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SEPT HEURES

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Portrait

 

 

Son petit sac à ses pieds,
bien en place à sa place,
elle est assise à sa place,
dans ce train,
pour sept heures de trajet,
et sait très bien qu’elle n’est pas qu’un paquet à trimballer,
du bas de ses sept ans,
avec son petit sac à ses pieds.
Elle sait qu’elle n’est pas qu’un paquet,
qui tourne le dos à la marche en avant,
comme un temps empaqueté dans un paquet
qui n’avance que si on lui ordonne de marcher.
À l’heure où la sieste a commencé,
et les sept heures de trajet bien entamées,
la petite fille,
avec son petit sac à ses pieds,
sait qu’il n’est pas si facile d’être éveillée,
à sept ans à peine,
seule à sa place pour sept heures de trajet,
elle sait qu’elle est toute seule,
comme un paquet posé,
à sa place, bien posé,
pas de sieste mais sept heures de trajet.
Il fait encore jour pour quelques heures,
le regard se durcit d’heures en heures,
à travers la vitre, ses yeux,
de sept ans à peine,
regardent avec peine
ces sept heures étrangères.
Elle observe,
pas seulement parcequ’elle est seule,
comme un paquet,
posée près de son petit sac tout discret,
mais rien…
Pas de sieste, pas de goûter, pas de jouet.
C’est le choix de cet être inconscient
d’avoir déposé une petite fille
comme un paquet qui retourne à l’envoyeur,
parcequ’avec ses sept ans,
c’est pas assez grand ou c’est trop petit,
pas assez intéressant ou sans finesse,
pas assez amusant ou trop ennuyeux,
en tout cas c’est pas comme il faudrait
pour continuer des vacances de petite fille de sept ans.
Alors pendant sept heures de trajet,
comme un baptême sans dragées,
gardant ce silence sans sourire,
dos à la marche en avant,
le petit sac et les petits pieds ne vont pas bouger.
Alors que le temps avance
et que les espoirs s’arrêtent en route,
la peur, bien tranquille,
s’installe face à la nuit
et entoure le chaos du vide.
Le wagon se vide.
Gardant ce silence sans sourire,
face à la marche en avant,
le petit sac et les petits pieds vont bouger,
s’agiter, piétiner,
et s’évader du rigide paquet
collé à la place numérotée et imposée,
pour terminer ces sept heures de trajet
dans une tristesse de liberté.
La petite fille de sept ans se lève,
observe le vide,
les places abandonnées,
usagées, méprisées,
vacantes, désintéressantes,
qui ne sont pas les siennes,
alors que le train continue sa lancée,
elle avance,
le temps en pleine face,
son sac à dos dans son dos,
alors que l’heure du bain est passée,
et qu’il serait temps de dîner,
elle se place près de la porte de sortie.
Les sept heures seront bientôt écoulées.
Avec ses sept ans,
elle regardera droit devant, droit dehors, droit dedans,
avec son sac à dos bien droit,
dans son dos droit,
elle suivra sa ligne droite,
sa ligne libre, bien droite, bien libre,
dans le sens de la marche,
avec ces sept heures qui l’ont accompagnée,
avec les adultes qui ont tous fuis
qu’elle regardera bien en face,
droit devant, droit dehors, droit dedans,
avec son sac à dos bien droit dans son dos droit.
Tirant un trait bien droit
sur ceux qui ne veulent ni son bien,
ni son mal,
elle ne leur dira rien,
suivra son chemin tout droit,
droit devant, droit dehors, droit dedans,
son regard au loin,
son sac à dos bien droit dans son dos droit.
Avec ce silence sans sourire,
la petite, debout et droite,
arrive à bout,
à bout de ces sept heures
qui ont tué ses sept ans,
et son sac qui n’est plus petit mais bien là,
ce sac à dos, qui a grandi aussi,
bien droit dans son dos droit.
Les sept heures sont passées.
Elle descend du train
et abandonne comme un paquet
le cadavre de son enfance morte étouffée
d’être restée bien assise à sa place sans bouger,
avec le chaos à ses pieds.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2016)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-

 

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L'HOMME SIECLE

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Portrait

 

Il est comme un homme siècle, dans une mécanique des mots, du savoir, une com’ de base, une classe étudiée, beau, gosse, tout le monde voit. Photos. Il comprend vite, analyse vite, agit vite.
Au milieu de cette masse humaine.
Chasse, vite, court, vite, après tout, vite. Tout se voit. Personne ne se voit.
Vite. Son temps, son gibier, sa monnaie, sa cravate. Non, plus de cravate. Photos. Pas de sentiment. Ses clients, ses rendez-vous, ses mains serrées et une suite de contrats signés. Le spectacle des enfants, vidéo, le déjeuner chez les parents, photos, portable, mails, textos, messages, images. Trop d'images qui rendent sourd. Et la cambrure de sa femme superposée à celle de la pub télé, personne ne voit. Photos. Tout le monde voit. Des commentaires. Encore, t'es beau, t'es belle, t'es beau, t'es pas beau. C'est beau, c'est laid, c'est trop, t'es pas beau, t'es pas belle, t'es, t'es pas, tais-toi, et toi, mais moi, et lui, il m'a dit, elle m'a dit. Vite. Encore. Non. Photos. Pas de commentaire. Rien ne se dit. Vite. Vidéo. Personne ne se parle. Plus de podium. Et des ultimatums, des compteurs qui tournent vite. Ça motive, ça motive. Vite. Un homme à terre ici. Rien ne se pense. Rien ne se dit. Tout se dit. Vite. Photos. Commentaires. Rien de plus. Un homme lucide. En action.
Il est sportif, parfois. Il aimerait être sportif parfois. Personne ne se voit. Photos. Tout se dit. Vite, un pote, des potes, un pot, se vider l’esprit, des pintes. Rire dans ce tout qui abrite, blague bête et méchante, encore une, plus bête, encore, drôle, rire bête et pas drôle. Photos. Pintes. Moments indispensables de potes. Photos. Pas présentables mais tant pis. Pas si drôle sans photos. Personne ne voit. Rire encore.
Rien ne s'entend. Rire fort qui s'entend. Tout s'oublie. Vite, le petit dernier, fragile mais pas trop. Nous sommes des hommes, alors pas de larmes, des claques, faut que ça claque. Le père doit montrer l’exemple. Fort. Vite. Action. Lui parler par l’action, montrer sans un mot, jouer et gagner, vite, tout lui dire sans un mot pour qu’il agisse vite. Loyal. Puissant. Pas de commentaire. Un mot parfois. Pas trop. Vite, fier. Photos. Une émotion qui vibre pour son petit garçon, gagnant. Il dira : pas mal. Pas de phrase, pas le temps. Photos. Rien ne se voit. Émotion. Personne ne se parle.
Et puis tant pis, personne ne voit. Vite. Sourire. Puis impassible.
Un homme de ce siècle, une place, cherchant son devoir, défendant son droit, prêt pour le combat, en fond vulnérable face à sa bulle femme/enfant. Habitude. Lassitude. Rien ne se dit. Tout se voit. Vite. Trop vite. Allez, prêt, feu, repartez. Divorce violent, coup dur face au temps. Vite pour qui. Au sol. Impasse. Tant pis tout le monde voit. Photos supprimées. Et il continue avec un vite au tapis. Moins de vite. Plus de fond. Plus de vrai. Action et visage mature, creusé. Gestes mesurés. Une nouvelle femme. Photos, pas celle-ci, photos,encore, celle-là, photos, pas réelle,encore, photos, valeur, sans valeur, choisir, choisir, choisir. Illusion de pouvoir. Rien ne se pense. Tout voir. Tout commenter. Tout montrer. Toujours pas de phrase. Pas de sujet. Pas de complément. Action. Tout se dire. Vite. Plus de place. Supprimer.
Plus de mariage s'il vous plaît. Plus de vite. Stop. Personne. Il regarde enfin. Moins vite.
Une femme qui l'aimerait. Une. Pas confiance. Peur. Reprendre confiance.
Ce sera une amie jusqu'à ce qu'elle soit dans sa vie. Il choisit. Avec elle ce sera oui. Repartir. Vite. Action.
La vie. Une vie d’homme ça se vit.
Un homme siècle c'est toute une vie.
Vite.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2014)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-

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HOMMES

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand dans Portrait

 

Homme poète, torture le rythme,
Enlève la virgule, lèche la rime,
Arrête le souffle et soupire,...
Suspend le jeu pour attiser le fond,
Forme et son s’admirent…Attirant.

Homme fidèle, en toute rancune,
Brûle d'un feu pur,
Ardent sans futur,
Doux, puissant, sans armure,
Tailladé de coups et failles
Plein de charme…Troublant.

Homme du sud,
Soleil brutal,
Vif. Non, animal !
Plus sensuel, peau miel.
Un brin adolescent. Humain.
Examen de conscience,
Blessure d’enterrement…Spirituel.

Homme lucide de cette folie humaine,
Spectateur de la nature inhumaine,
S’attache à l’immatériel,
L’invisible profond selle le cœur,
Repère les prédateurs en un seul coup d’œil,
Pas de pitié…Guerrier.

Homme sévère sans excuse,
Temps juste adoré, démesuré,
Vie de passionné,
Amoureux accroché aux seins de sa bien-aimée,
Sa femme idolâtrée,
Sa reine perlée couronnée,
Cette dame surestimée,
Son secret bien gardé…À ses pieds.

Homme mégalo dans son univers,
Attise deux pôles sombres
Mi-monotone, mi-lunaire,
Parcourt le monde sur un fil,
N'économise ni l'envie, ni le vide,
Traverse les bras qui défilent,
En courant une minute par an,
Etire le goût de la vie…Rêveur.

Homme conscient du courant,
Refuse la masse, la fonte,
Allège les poids, les cordes,
Pas d’eau courante,
Pas d’adresse fixe,
Pas sdf mais libre, vibre, trace,
Dialogue dans toutes les langues,
Sans mascarade sociale…Voyageur.

Homme privilégié,
Fortuné, diplômé, en sécurité,
Un peu sonné, cherche le bonheur,
Pas une seule clé, si triste,
Frappera à ta porte, sans bruit,
En suivant le chemin du Père Noël,
Chargé de mots en forme de cadeaux…Généreux.

Homme solide,
Reste sans sourire, sans miroir,
Toujours étonné de recevoir
Une vie de soleil inattendu,
Silhouette pour cet hypnotisé,
Etre à la hauteur de son auteur,
Ce présent très haut perché,
Chauffe l’espoir mort de peur…Guéri.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2013)

©Céline JUSTAND

-Justand Mots-

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